11.11.10

Irréversible

Ce dimanche après-midi, après de douces heures sciemment allongées d’un bricolage appliqué, il s’apprêta à enfoncer le dernier clou. Par acquis de conscience plus que par absolue nécessité, pour être bien assuré dans sa névrotique angoisse de l’inachèvement de la solidité de l’ensemble. La pointe repositionnée dix fois jusqu’à marquer le lieu exact qui lui semblait idéal, il frappa fort, à plusieurs reprises, et sans ciller. Mais lorsqu’il se pencha pour regarder de l’autre côté, il vit que la trajectoire du fer avait insensiblement déviée, et ainsi crevé le bord extérieur de la planche. Là où ses doigts satisfaits auraient dû trouver la fierté lisse, douce et tiède des nervures fraîchement poncées, une boursouflure obscène ravageait le champ de son exploration tactile. Une anxiété terrible le saisit à la gorge, ses gestes s’emballèrent, et après avoir saisi nerveusement tous les outils épars sur la table de travail pour tenter en vain de retirer l’irréversible clou, il demeura abasourdi devant le naufrage. Le point tragique de l’irrémédiable.